Dieu Est Plus Grand Que Notre Coeur:

Thérèse de l'Enfant Jésus

Sr. Aline Early, O.C.D.

La vie Des Communautés Religieuses Vol. 55, Janv.-fév. 1997

Apparemment Thérèse de Lisieux (1882 - 1897) ne parle pas beaucoup de la prière, trop peu à notre gré. D'autre part, son existence entière est imprégnée de prière. Une sorte de fascination de Jésus manifeste une forte emprise de Dieu à laquelle Thérèse répond avec ferveur. Prière et sainteté ne font qu'un dans son cas. Dès lors, s'interroger sur la prière de Thérèse ouvre des horizons immenses. Après quelques réflexions suscitées par sa prière, choisissons d'emblée de nous limiter aux heures d'oraison auxquelles Thérèse est tenue par sa vie au Carmel, pour en saisir quelques aspects. Autant que possible nous laissons la parole à sainte Thérèse elle-même dans ses Manuscrits autobiographiques et dans ses Lettres. En dévoilant peu à peu le secret de son oraison, elle pourra nous guider dans les obscurités de notre propre démarche et nous aider à nous livrer aux jaillissements de l'Esprit.

Un premier regard sur la prière de Thérèse n'est pas sans nous étonner. Thérèse vit une vie contemplative avec sa structure portante, son horaire entièrement centré sur la prière, sous des formes diverses: l'Eucharistie, l'Office des Heures, deux heures d'oraison pour ne citer que les grands axes. Or Thérèse, explicitement, parle peu de prière. Elle atteint une sainteté de hauteur vertigineuse et pourtant, elle ne semble jamais franchir l'échelle classique de la contemplation décrite par ses saints parents. Thérèse de Jésus et Jean de la Croix, tous deux docteurs des voies de la prière. De plus, nous connaissons son ardent amour de Jésus et son souci de fidélité dans les petites choses. Néanmoins nous savons que ses temps d'oraison se passent dans la sécheresse, l'aridité, le sommeil et les distractions, selon son propre témoignage.

Nos réponses provisoires nous assurent qu'en effet, <<prier>> déborde les temps officiels de prière : la sainteté et la contemplation ne sont jamais des copies mais des créations inédites de l'Esprit qui rend libre; sécheresse et distractions dans l'oraison ne sont pas nécessairement signes d'une prière ratée et elles n'excluent pas toujours la joie, la paix, le bonheur qui dans la foi, peuvent être éprouver dans une zone plus profonde.

Écoutons Thérèse elle-même nous parler de son oraison au Carmel. Ses comptes rendus sont bien connus. Dans sa sincérité habituelle elle n'édulcore rien de ses difficultés et ses aveux sont formels, au point d'être presque déconcertants pour nous.

Son oraison n'est pas une réussite à ses yeux, elle n'a pas grand succès : <<La sécheresse était mon pain quotidien>> (Ms A, 73) (1888-9). <<Je devrais me désoler de dormir pendant mes oraisons et mes actions de grâces>>. (Ms A, 75) Ailleurs, elle se plaint des divagations nombreuses de son esprit, <<de se laisser distraire de son unique occupation (…), de s'occuper des bagatelles de la terre>> (Ms B, 52). <<Aujourd'hui plus qu’hier, si cela est possible, j'ai été privée de toute consolation…>>. (LT 76)

Sa retraite de prise d'habit est encore plus aride. Les billets à ses soeurs sont éloquents et ne laissent aucun doute sur son état d'âme. <<Rien auprès de Jésus. Sécheresse! Sommeil! Mais au moins c'est le silence : Le silence fait du bien à l'âme… Puisque Jésus veut dormir, pourquoi l'en empêcherais-je? … Je vous assure qu'il ne fait pas de frais pour me tenir conversation… Le pauvre agnelet ne peut rien dire à Jésus et surtout Jésus ne lui dit absolument rien…>>. (LT 100-101, 104)

Au début de sa vie au Carmel, la sécheresse et le sommeil sont sûrement dus à un manque de repos et à un épuisement physique et nerveux pour une toute jeune fille. Le traitement est rude d'autant plus qu'avant son entrée. Thérèse avait connu des heures de prières ferventes et des faveurs indélébiles qui avaient incontestablement intensifié son désir de solitude.

Dès son jeune âge, Thérèse a connu la présence obscure de Dieu qui attire l'âme au recueillement. Sa première communion fut <<une fusion>> avec Jésus. << Thérèse avait disparu, comme une goutte d'eau qui se perd au sein de l'océan. Jésus restait seul… (il était le Maître, le Roi)>>. (Ms A, 34)

À cette expérience précieuse de l'emprise unifiante de l'Amour, la grâce de Noël ajoutera celle de la puissance transformante de cet Amour dont l'action s'exerce par des infusions de charité et s'étend aux facultés sensibles. << En un instant, l'ouvrage que je n'avais pu faire en dix ans, Jésus le fit en se contentant de ma bonne volonté>> (Ms A, 45)

La grâce de zèle et de la soif des âmes reçue peu de temps après, la fait pénétrer dans l'Amour divin lui-même pour lui faire expérimenter ses besoins profonds, sa souffrance : l'Amour a soif de se répandre et les hommes refusent de le recevoir.

Toutes ces expériences de plus en plus pénétrantes de l'Amour avaient attiré Thérèse au Carmel. Là elle pourrait vivre avec Dieu, libre de tout souci sauf celui de l'aimer, dans une contemplation sans entrave. Or, avec son entrée au Carmel, commencent les sept années de sécheresse interrompue en juillet 1889 par la faveur reçue à la grotte de Sainte Madeleine : la jeune carmélite demeura une semaine entièrement absorbée par l'amour. << Il y avait comme un voile jeté pour moi sur toutes les choses de la terre… C'est un état surnaturel bien difficile à expliquer. Le Bon Dieu seul peut nous y mettre. Il suffit à détacher une âme de la terre pour toujours>> (CJ 11.7.2) Son recueillement habituel pendant sa vie monastique ne saurait entièrement s'expliquer sans cette grâce exceptionnelle.

Sa retraite de profession, tout comme celle de sa prise d'habit, <<et toutes celles qui suivirent fut une retraite de grande aridité>> (Ms A, 75). Ces lignes, écrites en 1895, sont éclairées par plusieurs billets de Thérèse à ses soeurs. <<L'Agneau se trompe en croyant que le jouet de Jésus n'est pas dans les ténèbres>>. (LT 78) Dans sa sensibilité et ses facultés, l'impuissance semble toujours augmenter: <<Je ne comprends pas la retraite que je fais, je ne pense à rien, en un mot je suis dans un souterrain obscur…>> (LT 112). Mais Thérèse tient bon résolument à travers toutes les difficultés, les sensations de vide et d'impuissance.

L'Esprit divin la place, en effet, sous l'action lente et prolongée de son amour pour que l'oeuvre qu'il a inaugurée gagne en qualité et en profondeur. Thérèse de son côté ne perçoit que la couche de cendre uniformément grise qui couvre le foyer. Les longues sécheresses contemplatives auxquelles elle se soumet et qui peu à peu l'apprivoisent et même la rassurent, la consumeront lentement jusqu'à ce qu'elle soit transformée en brasier d'amour.

Le 31 août 1890. Thérèse décrit à Mère Agnès son itinéraire spirituel. En le citant en entier nous apprenons comment elle réagit à la situation <<qu'elle ne comprend pas>> et nous trouvons les traits marquants de son oraison obscure.

<<Avant de partir, son Fiancé a semblé lui demander dans quel pays elle voulait voyager, quelle route elle désirait suivre. [Elle] a répondu qu'elle n'avait qu'un désir, celui de se rendre au sommet de la MONTAGNE DE L'AMOUR. Elle lui a dit : Vous savez Celui que j'aime et Celui que je veux contenter uniquement. C'est POUR LUI seul que j'entreprends ce voyage. Menez-moi donc par le sentier qu'il aime à parcourir. Pourvu qu'il soit content, je serai au comble du bonheur. Alors Jésus m'a pris par la main, et il m'a fait entrer dans un souterrain où il ne fait ni froid ni chaud, où je ne vois rien qu'une clarté à demi voilée, que répandent les yeux baissés de la Face de mon Bien-Aimé. Mon Fiancé ne me dit rien. Et moi je ne lui dis rien non plus, sinon que JE L"AIME PLUS QUE MOI. Et Je sens au fond de mon coeur que c'est vrai, car JE SUIS PLUS À LUI QU'À MOI. Je ne vois pas que nous avancions vers le terme de la montagne, puisque notre voyage se fait sous terre, mais pourtant il me semble que nous en approchons sans savoir comment. La route que je suis n'est d'aucune consolation pour moi mais pourtant elle m'apporte toutes les consolations, puisque c'est Jésus qui l'a choisie, et que je désire le consoler tout seul, tout seul>>. (LT 110)


L'atmosphère indéfinissable que Thérèse décrit avec des mots justes et des images fort expressives laissent deviner qu'un dévoilement s'inaugure. Quelle paix dans cette jeune carmélite! Et quelle sécurité dans son coeur! Dans l'obscurité épaisse du voyage qui se fait dans la foi pure, une certitude jaillit: <<Ce Bien-Aimé m'instruit, il parle dans le silence, dans les ténèbres>> (LT 135). Mystérieusement, Thérèse <<sait>> la nécessité de la sécheresse pour purifier sa foi et son amour et pour la garder en état d'accueil comme une fleur sous l'action du soleil. Ses yeux intérieurs s'habituent à la pénombre : elle finit par discerner les traits. <<à demi voilés>> du visage qu'elle recherche; elle <<sent>> un amour supérieur à tout, qui s'exprime au fond de son coeur; elle marche à l'obscur vers le but qui se laisse deviner. Mue par une force intérieure, son regard se fixe lentement, paisiblement, sur <<Celui qu'elle aime>>, sans autre attirance que lui.

Elle perçoit que son coeur s'est éveillé : elle devient un amour qui regarde dans la foi, sans autre but que de durer pour la joie de Jésus, et ce regard, en retour, nous dit son amour. Une seule chose importe encore à Thérèse : faire plaisir à Jésus et lui prouver qu' <<elle l'aime plus qu'elle-même>>, se réjouir de la joie de pouvoir se donner alors qu'elle se perd : <<Je trouve cela tout naturel, puisque je me suis offerte à Jésus... pour le plaisir de celui qui se donne à moi>> (Ms A 79).

Une vie secrète s'est ouverte à Thérèse néanmoins elle juge sa retraite aride et trouve le souterrain bien sombre. Dans sa sèche prière contemplative, L'obscurité ne disparaît pas, mais elle en convient maintenant : les ténèbres <<au lieu de me faire de la peine me font un immense plaisir>> (MS A, 75). Et comme en écho : <<Je ne désire pas voir, Je préfère vivre de foi>> (CJ 11.9.7;5). Nous touchons à un domaine des plus mystérieux de l'oraison de Thérèse. Nous sommes en pleine antinomie. Une prière difficile, aride et sans goût peut donc être en même temps, une prière paisible, facile et consolée? La Présence divine peut donc être expérimentée dans une absence apparente?

En suivant Thérèse dans son cheminement, on comprend que c'est avec enthousiasme qu'elle découvre les écrits de saint Jean de la Croix et s'en nourrit. Ce fut comme une révélation pour elle : elle trouve là son portrait. Son expérience lui a déjà appris que c'est le regard de foi, obstinément fixé sur Dieu, qui permet à Dieu de se donner. L'oraison du côté humain n'est finalement qu'un exercice continuel de la foi, une répétition d'actes de foi nue reliant l'âme à Dieu de façon telle qu'il puisse se donner et transformer l'âme.

Saint Jean de la Croix lui apprendra que l'oraison contemplative, en effet, se situe dans l'esprit où la foi devient vive, au-delà de ce que l'on peut découvrir. Dieu introduit l'âme dans la nuée lumineuse et laisse à leur activité naturelle les facultés humaines. De là viennent les antinomies qui font souffrir, aussi longtemps que l'âme n'est pas accommodée à Dieu et à son action. La dualité sera moins sentie à mesure que purification progressera. Celle-ci achevée, les puissances humaines uniront leur prière à celle que l'Esprit fera en elles.

De la pauvreté de l'âme qui pâtit, jaillissent l'espérance et la confiance qui permet à Dieu de se donner sans mesure, de réaliser les désirs infinis de l'âme et d'exercer son propre droit à l'amour jusqu'à <<l'égalité d'amour>>. Tel semble avoir été le cas de Thérèse. La pureté de son regard de foi est inlassablement arrêtée sur Dieu; l'amour infini peut la conduire à l'union transformante de l'Amour divin, jusqu'à pouvoir aimer Dieu avec son Amour à Lui. <<Ah! Que de lumières n'ai-je pas puisées dans les oeuvres de saint Jean de la croix!... À l'âge de17 à 18 ans je n'avais pas d'autre nourriture spirituelle>>. (Ms A, 83) Cette lecture est pour elle lumière, sécurité, plénitude, confirmation de ses intuitions les plus inexprimables : <<C'est le saint de l'Amour par excellence>>. Est-ce dans ce sillon que Thérèse dira un jour son plus beau mot sur l'oraison? <<L'Amour est tout>>. (Ms B, 3) <<C'est l'Amour seul qui m'attire>>. (Ms A, 82)

Sans anticiper les grâces singulières dont l'Amour gratifie Thérèse, suivons-la simplement, sans hâte, dans sa prière pauvre et dépouillée. Thérèse connaît des étapes de croissance, elle doit patiemment avancer dans la nuit de la foi et construire de nouvelles attitudes intérieures, dont le processus s'étend sur des années.

Si la jeune carmélite, au début, attribue sa sécheresse à son peu de ferveur, elle se trompe. Mais Thérèse prend de plus en plus conscience de sa profonde pauvreté, et elle doit apprendre à vivre avec elle. Ses impuissances sont fructueuses, car elles favorisent le <<devenir petit>> comme le grain de sable dans le désert aride. Elles ne détruisent pas l'amour, mais elles excitent sa soif. Sa générosité reçoit un nouveau visage. Jésus lui apprend que sa pauvreté est <<le moyen de lui plaire>> (Ms A, 76).

Peu à peu croissent en profondeur l'humilité, le détachement, la confiance et l'abandon dans l'âme de Thérèse, jusqu'à devenir amour de sa petitesse. Dans la ligne de <<l'avoir>>, Thérèse est pauvre; dans la ligne de <<l'être>>, de la puissance, elle est pauvre également, elle ne peut rien... La terre semble prête pour une nouvelle semence! Sa faiblesse devient capacité d'accueil, capacité d'amour. Bientôt elle percevra <<la plus grande chose que Dieu a faite en son âme : il lui a montré sa petitesse, son impuissance>> (Ms C, 4); en un mot, sa faiblesse radicale. Elle en est si convaincue qu'elle dira à Céline : <<Plus tu seras pauvre, plus Jésus t'aimera>> (LT 211).

Un mouvement d'abandon grandissant se manifeste qui, vers 1894, débouchera dans la découverte de la <<petite>> voie définitive, la <<petite voie bien droite, bien courte et toute nouvelle>> (Ms C, 2). Voie qui se fera route, autoroute; elle se confond avec Jésus qui est <<la Route>> (Jn 14, 6). Alors elle expérimentera que <<Dieu la porte dans ses bras>> (Jean de la Croix) et l'élève au sommet.

Sans heurts mais sans retour se produit, en même temps, un retournement dans son désir de sainteté. Nous connaissons maintenant deux phases dans l'évolution spirituelle de Thérèse. Jusqu'à 22 ans, elle caresse le désir secret de se sanctifier; <<Je donnerai tout!>> <<J'ai toujours désiré être une sainte>>. (Ms C, 2) Et même, <<Je veux devenir une sainte! Je veux aimer le Bon Dieu autant que sainte Thérèse>> (PA 159). <<La sainteté! Il faut la conquérir à la pointe de l'épée>>. (LT 89) Le rêve d'une sainteté conquise s'effritera peu à peu par l'expérience constante de sa faiblesse et la connaissance grandissante, dominante même, de l'Amour infini.

Les trois dernières années de sa vie, Thérèse quête à Dieu la sainteté : << Je veux devenir une sainte, mais je sens mon impuissance. Je te demande, Ô mon Dieu, d'être toi-même ma sainteté>> (Pri 6). Thérèse prend conscience du désir de Dieu : combler l'homme ouvert et accueillant de son insondable tendresse miséricordieuse. Insensiblement change sa prière; <<Seigneur, je t'aime, je veux vivre pour toi>> devient maintenant <<Seigneur, tu m'aimes, tu vis pour moi>>. En effet, loin d'être une prestation, la prière est un don qu'un Autre dépose en Thérèse pour l'épanouir pleinement.

Il est évident que la croissance dans la sainteté influence profondément la prière d'une personne. Après une longue maturation, 1895 est une année printanière pour Thérèse, la plus heureuse de sa vie. C'est une année de plénitude,  d'intensité et de lumière. C'est le moment décisif de son histoire spirituelle.

Que deviennent les oraisons de Thérèse après ces débordements divins? Dieu ne charge pas son agir profond dans l'âme de Thérèse : <<Ne croyez pas que je nage dans les consolations, oh non! Ma consolation c'est de n'en pas avoir sur la terre. Sans se montrer, sans faire entendre sa voix, Jésus m'instruit dans le secret; ce n'est pas au moyen des livres, car je ne comprends pas ce que je lis>>. (Ms B, 1) Son impuissance de toujours... mais accompagnée de la certitude grandissante d'être unie à Dieu et d'être conduite au sommet de la Montagne, Le chemin reste dans l'obscurité, mais aimer, c'est prendre la main du Seigneur et s'abandonner à lui <<dans l'espérance aveugle en sa miséricorde>> (LT 197).

Le coeur toujours en éveil pour <<se laisser instruire dans le secret>>, Thérèse écoute, Thérèse cherche... Non <<pas dans les livres, car elle ne comprend pas ce qu'elle lit>> (Ms B, 1). Mais alors, que faire? <<Dans cette impuissance, l'Écriture Sainte vient à mon secours; en elle je trouve une nourriture solide et toute pure. Mais c'est pardessus tout l'Évangile qui m'entretient pendant mes oraisons... J'y découvre toujours de nouvelles lumières, des sens cachés et mystérieux... >> (Ms A, 83).

Et de préciser : <<J'ai lu ces mots sortis de la bouche de la Sagesse Éternelle : Si quelqu'un est TOUT PETIT qu'il vienne à moi. Et voulant savoir ce que vous feriez au tout petit qui répondrait à votre appel, voici ce que j'ai trouvé - Comme une mère caresse son enfant, ainsi je vous consolerai, je vous porterai sur mon sein et je vous balancerai sur mes genoux>>. (Ms C, 2)

<<LE TOUT PETIT ENFANT>> voilà les mots qui ont produit l'étincelle entre les deux Paroles de Dieu. Ils mettent à la portée de tous l'enseignement de Jésus : <<Si vous ne changez pas pour devenir comme des petits enfants... >> (Mt 18, 3) Il y a dans l'amour de l'enfant pour sa mère une qualité qu'on ne retrouve pas chez l'adulte : c'est la SIMPLICITÉ de celui qui se laisse aimer. Thérèse le comprend! Dans L'ABANDON, elle se livre complètement à Dieu. Cette forme d'amour qui s'appelle CONFIANCE devient désormais la disposition foncière de Thérèse. Le mot MISÉRICORDE l'habite et sonne comme une musique. Le coeur est rempli, il déborde.

En lisant la Bible dans la prière, toutes ces réalités deviennent pour elle d'une clarté éblouissante! Peu de temps après cette découverte, elle commence son Manuscrit A dont le thème est d'emblée la Miséricorde... et qui court en filigrane jusqu'à la dernière page du Manuscrit C Thérèse, contemplative, <<comprend plus que jamais combien Jésus désire être aimé>> (Ms A, 84) : sa miséricorde est comme une mer impétueuse qui ne peut plus désormais <<contenir ses flots d'infinie tendresse>>. En la fête de la Sainte Trinité 1895, aveuglément, elle se jette dans les bras de Dieu et s'offre, pour toujours, comme une proie à son Amour Miséricordieux.

La réponse de Dieu ne se fait pas attendre : <<Ah! depuis cet heureux jour, il me semble que l'Amour me pénètre et m'environne, qu' à chaque instant cet Amour Miséricordieux me renouvelle, purifie mon âme et n'y laisse aucune trace de péché...>> (Ms A, 84). Continuelle est devenue la prière de Thérèse, si bien qu'elle peut affirmer : <<Je COMPRENDS et je sais par EXPÉRIENCE "que le Royaume de Dieu est au-dedans de nous". Jésus enseigne sans bruit de paroles... Jamais je ne l'ai entendu parler, mais je SENS qu'il est en moi, à CHAQUE INSTANT, ll me guide et M'INSPIRE ce que je dois dire ou faire>>, (Ms A, 83)

Tout désormais procède de cette haute expérience de l'Amour transformant. De toute part Thérèse récolte les fruits de l'Esprit, arrivés à pleine maturité. Des lumières nouvelles l'inondent et ses désirs d'apostolat s'ouvrent à des horizons illimités. Une paix et une joie profondes et mystérieuses ne la quittent plus, ni au sein de la souffrance - compagne inséparable de l'amour chrétien -, ni dans la nuit de la foi à laquelle elle est <<élue>> les derniers mois de sa vie. Thérèse ne s'appartient plus, elle appartient au Christ, à l'Église, au monde entier. Tel est le fruit et le sommet de sa vocation d'orante, de sa fidélité à la prière, à la prière obscure, dénudée et impuissante.

Son don total à l'Église est le point culminant, la source inépuisable de sa vie mystique, Ne plus rien désirer, sinon l'amour, l'amour crucifié, parce que << L'AMOUR RENFERME TOUTES LES VOCATIONS (Parce que) l'amour est tout, ET QU'IL EMBRASSE TOUS LES TEMPS ET TOUS LES LIEUX... >> (Ms B, 3). Thérèse de s'écrier : <<Oh Jésus, mon Amour... ma vocation, enfin je l'ai trouvée, MA VOCATION C'EST L'AMOUR! ... Dans le Coeur de l'Église, ma Mère ; je serai l'Amour>>. On lui demande si c'est pour jouir de Dieu qu'elle désire le Ciel. <<Non, ce n'est pas ça qui m'attire. - Quoi donc? - oh, c'est l'Amour! Aimer, être aimée et revenir sur la terre (pour faire aimer l'amour)>>. (DE/G - 7.4)

L'Amour! Thérèse l'a trouvé : il s'est perfectionné dans la souffrance et la souffrance la plus hautement rédemptrice, Thérèse l'a reçue dans sa vie d'oraison. Aussi peut-elle dire à la dernière page de ses manuscrits :

<<Tous les saints l'ont compris et plus particulièrement peut-être ceux qui remplissent l'univers de l'illumination de la doctrine de l'Èvangile... Le Tout-Puissant leur a donné un point d'appui : LUIMÊME et LUI SEUL : pour levier : l'oraison qui embrase d'un feu d'amour, et c'est ainsi qu'ils ont soulevé le monde; jusqu'à sa fin, les Saints à venir le soulèveront ainsi>>.

Soeur Aline Eraly, O.C.D.

Carmel de Montréal

Email:carmelmtl@qc.aira.com

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Ms A,B,C = Manuscrits autobiographiques

LT = Lettres

Pri = Prières

CJ = Carnet jaune

SG = Conseils et Souvenirs par Geniviève

PA = Procès apostolique

 


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